Le texte à l’étude intitulé « Orphée » est le poème principal du recueil La Lyre, écrit par Tristan L’HERMITE et publié en 1641. Il s’agit des vers 35 à 60 dont l’orthographe a été modernisée. Ce poème a été composé en l’honneur de Berthod, un musicien alors connu. Nous nous demanderons comment Tristan L’HERMITE reprend à travers cet extrait le mythe fondateur d’Orphée. Dans un premier temps, nous montrerons que le poème exprime le deuil d’un amour perdu, celui d’Eurydice. Puis dans un second temps, nous verrons que le poème dévoile les pouvoirs qu’on associait jadis à Orphée.

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I- L’épreuve du deuil

  1. La douleur d’un amour perdu
  • Le passage étudié est marqué par un événement douloureux, celui de la mort d’Eurydice évoqué au vers 11 « l’accident du trépas de sa femme » et au vers 15 « le tombeau de sa chère Eurydice ». A cela, il faut relever la présence de la subordonnée conjonctive circonstancielle temporelle au vers 9 qui inscrit l’événement comme une borne temporelle dans le texte : « Quand […] cet Amant eut accusé la mort ». Le mot « accusé » peut avoir plusieurs sens : il peut signifier l’acte d’accusation, de désignation de la mort comme l’origine du malheur d’Orphée mais il peut aussi avoir pour sens la prise de conscience de l’événement, et l’acceptation de cet état de fait. Cette dernière acception invite à marquer la mort d’Eurydice comme un événement fondateur du mythe.
  • C’est ainsi que le texte à l’étude se charge d’une tonalité fortement pathétique, en témoigne le lexique de la souffrance suivant : « blâme » v.12, « l’excès d’un semblable malheur » v.13, « la douleur » v.14, « s’y plaindre toujours » v.17, « ses tristes amours » v.18, « se plaindre » v.20, « des regrets » v.26. La douleur d’Orphée est développée au long de ce poème qui exprime le deuil de la perte de sa femme.
  • Mais il est intéressant de remarquer le paradoxe des sentiments, entre l’amour et la douleur, qui animent Orphée. On relève pour cela les expressions au vers 12 « tantôt avec louange, et tantôt avec blâme » et au vers 14 « inspirer l’amour et la douleur ». Cette dichotomie engendrée par la mort d’Eurydice va être source d’inspiration. La conjonction de coordination « et » marque l’alternative entre le sentiment d’éloge de son amour passé, de son amante défunte, et le blâme de sa mort qui a engendré la douleur de la perte. C’est ainsi qu’Orphée exprime le deuil de sa femme et qu’il s’en inspire dès lors.

2. La destinée tragique des deux amants

  • Mais le destin des deux amants apparaît scellé par la fatalité. On peut ainsi déterminer que ce passage est animé par une tonalité tragique. En effet, à la pitié que suscite la mort tragique d’Eurydice, Orphée accuse le sort de l’avoir accablé de douleur : « Injurié les Cieux, les Astres et le Sort » (v.10). La fatalité revêt ainsi pour Orphée le visage de ces trois figures allégoriques marquées par les initiales en majuscule.
  • De plus, l’expression « cours infortuné de ses tristes amours » (v.18) fait écho au destin tragique du couple, condamné à ne pouvoir vivre leur amour terrestre. Le « cours infortuné » apparaît ainsi être la périphrase du destin fatal des deux amants.
  • Mais le sort d’Orphée n’est pas enviable. L’expression « pendant en précipice » (v.16) montre un danger immédiat pour la vie d’Orphée. Celui-ci construit un tombeau au bord d’une falaise, métaphore du vide que laisse Eurydice dans la vie du poète. Ce précipice offre à Orphée la possibilité d’en finir également avec la vie.

 

II- Le pouvoir de la poésie

  1. Le pouvoir d’Orphée : la Nature charmée
  • L’autre élément du mythe d’Orphée repose sur le pouvoir qu’exerce sa poésie et son chant sur ce qui l’entoure. En effet ce don est reconnu et participe à sa gloire. La périphrase qui le désigne au début de cet extrait suffit à déterminer son identité : « cet homme fameux dont la Lyre et la voix Attiraient après lui les Rochers et les Bois… » (v.1-2). L’épithète « fameux » renvoie à la gloire d’Orphée dont le mythe demeure bien au-delà des siècles. De plus, sa poésie et son chant sont inscrits dans les synecdoques que l’on trouve à la suite « La Lyre et la voix ». Ils figurent à eux seuls la capacité puissante du poète à créer de la poésie et du chant grâce à son instrument et à sa voix.
  • Il est intéressant de relever à la suite une accumulation qui précisent le pouvoir qu’exercent la poésie et le chant d’Orphée : « Attiraient après lui les Rochers et les Bois, Suspendaient pour un temps le cours de la Nature, Arrêtaient les Ruisseaux, empêchaient leur murmure, Domptaient les Animaux d’un air impérieux, Assuraient les craintifs, calmaient les furieux, […] Faisaient naître la paix où fut toujours la guerre » (vers 2 à 8). Cette longue énumération témoigne de la capacité d’Orphée grâce à la poésie et au chant de faire mouvoir les êtres inanimés, de suspendre le cours du temps, de mettre l’harmonie et la paix autour de lui. De plus, l’emploi de l’imparfait à valeur durative montre la permanence du pouvoir d’Orphée.
  • Enfin, il est intéressant de relever la présence de la Lyre comme objet indéniablement à associer à la figure du poète. En effet, on attribue la création de la première lyre au dieu Hermès qui le fit à l’origine avec une carapace de tortue. Cet instrument d’origine divine est d’ailleurs précisé au vers 23 : « le son merveilleux de ses cordes divines ». L’initiale en majuscule de la Lyre participe à la personnification de l’instrument dont l’énumération d’actions relevée précédemment et tirée des vers 2 à 8 y contribue également. Enfin, l’instrument est encore une fois cité au vers 19, accompagné de l’épithète « fidèle ». Cette qualification permet de voir la place importante de l’instrument surtout après la mort d’Eurydice.

2. Orphée et la création poétique

  • Ce personnage mythique est ainsi reconnu comme le père de la poésie et des poètes. L’instrument fidèle qu’est la Lyre lui vaut qu’on détermine la poésie orphique de lyrique. En effet, l’événement tragique que le poète vit va lui inspirer sa poésie : « Tout ce que dans l’excès semblable malheur Lui purent inspirer l’amour et la douleur » (v.13-14). C’est de sa voix que s’expriment ses émotions dont on reconnaît les caractéristiques qu’on attribue généralement au lyrisme poétique, c’est-à-dire l’expression d’une émotion personnelle intense.
  • De plus, la postérité attribuera une constellation à la Lyre puisqu’à la mort du poète, l’instrument figurera désormais à la voûte étoilée, en d’autres termes à la Nature même. Cette idée d’honneur dû au poète par la Nature figure aussi dans les vers 23-25 : « le son merveilleux de ses cordes divines Obligea les forêts d’enlever leurs racines, Pour venir honorer de leur ombrages frais ». Les termes « obligea » et « honorer » montrent que la Nature même reconnaît le talentueux poète et est amenée à lui rendre hommage, honneur et gloire.
  • Enfin, le dernier vers de cet extrait (« Ce mortel si savant à faire des regrets » v.26) invite à reconnaître que l’exercice de création poétique nécessite une forme de science, de connaissance et que sa pratique lyrique est le fruit d’un travail d’extériorisation des sentiments et des émotions comme le souligne l’expression « faire des regrets ». Cette ultime périphrase du poète Orphée reconnaît qu’en un sens la poésie lyrique n’est pas le don des dieux mais le fruit d’un travail personnel et talentueux.

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            A travers ce poème, Tristan L’HERMITE rend hommage à la figure mythique d’Orphée. En faisant le récit de la douleur que lui procure la mort d’Eurydice, L’HERMITE fait état de ce que jadis on associait à Orphée de merveilleux.  Il est celui qui fait mouvoir la Nature autour de lui, ramène la paix et l’harmonie dans le monde et est capable de suspendre le cours du temps. Au-delà de l’éloge du talentueux poète orphique, Tristan L’HERMITE rend également hommage aux poètes et musiciens qui de tout temps ont exprimé l’universalité des sentiments à travers l’art de la poésie, du chant et de la musique. C’est peut-être ainsi qu’il faut comprendre la dédicace faite à BERTHOD, dont la filiation apparaît légitime, aux yeux de Tristan L’HERMITE. Tout comme le poète du XVIIe siècle, Jean COCTEAU s’empare encore une fois du mythe en 1927 à travers une pièce de théâtre intitulée Orphée. Tout en le modernisant, COCTEAU révèle une forte réflexion sur la poésie et nous offre l’image presque obsédante d’une poésie qui essaie de se renouveler.

Mme MAO

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